iGor lilith quoted Dysphoria Mundi by Paul B. Preciado
Les experts en biochimie environnemental appellent « produits chimiques éternels » (forever chemicals) les substances dont la toxicité est si durable qu'elles ne peuvent être éliminées au cours de la vie d'un individu ou d'une génération entière, et dont la désintégration nécessite un cycle géologique qui dépasse l'échelle biologique de l'espèce. Il s'agit de substances bioaccumulatives, comme la radioactivité ou les composés chimiques perfluoroalkylés et plyfluoroalkylés, comme les mousses anti-incendie, les revêtements hydrofuges et lipophobes utilisés dans les textiles, les matériaux de guerre et de télécommunications. Pour David R. Boyd, l'accumulation de substances éternelles est tellement consubstantielle au fonctionnement du capitalisme fossile qu'il est, au sein de ce régime de production, impossible d'éviter la création de ce qu'il a appelé des « zones de sacrifice » : des territoires dont l'eau et le sol sont des réservoirs polluants résiduels et dont les communautés vivantes sont exposées à des niveaux d'empoisonnement extrêmes. Tout comme il existait dans certaines cultures des pratiques sacrificielles qui servaient à maintenir et à construire une hiérarchie métaphysique (la différence entre les dieux et les humains, entre les humains et les animaux, entre les corps appartenant à la communauté et les étrangers…), le capitalisme est une sorte de religion pétro-sexo-raciale qui exige le sacrifice de certains corps (animal, femme, enfant, étranger, racisé…) et la destruction de certains espaces (la colonie, la périphérie, la banlieue, le Sud…) afin de maintenir une hiérarchie mythico-érotico-marchande. La présence de substances éternelles dans le sol, l'eau et l'air permet de parler non seulement d'extractivisme et de colonisation industrielle d'un territoire donné, mais, plus radicalement, de la construction de nécro-espaces, des espaces de mort où la vie est, sinon impossible, du moins toxique. Sans la naturalisation du poison et l'esthétisation de la pollution, ce régime de domination et de destruction n'aurait pas pu fonctionner.
— Dysphoria Mundi by Paul B. Preciado (Page 45)
PP. 45 et 46. Je lis ça hier soir, et aujourd'hui sort « Polluants éternels » : comment « Le Monde » a suivi la trace des PFAS à travers l’Europe (https://foreverpollution.eu/).